Chanson 3 - maquette

 

La ville étonnée

 

 

Partir du texte de Christian et dès la première lecture, dès les premiers mots, se projeter et y trouver une évidence. La musique est venue très rapidement, la chanson écrite en quelques minutes à la voix et au piano et enregistrée dans la foulée.

 

La pompe du marimba initial, accords suspendus, pointés, tempo modéré, tranquille. Il y a là-dedans la légèreté du bandonéon, il y a aussi le mécanisme de l’orgue de barbarie, un petit parfum désuet dans ce son et ce rythme inexorable, comme si le bruit des métiers n’était qu’un souvenir, l’idée aussi surement de ce cliché de boulevard populaire, la ville au son des métiers, ces témoignages qui infusent et alimentent un imaginaire, des films, des cartes postales, des odeurs aussi. Le cliché ne dure pas, nous sommes loin des poncifs du genre de la chanson popu, accordéon belles bretelles accent titi le drame social…

 

D’une apparente facilité, la chanson s’appuie pourtant sur des enchainements harmoniques surprenants, explorant de nombreux éclairages en butinant, privilégiant toujours la surprise. Les mélodies découlent de ces ancrages harmoniques instables et s’en trouvent bouleversées, elles aussi bancales, oscillant volontiers entre évidence et complexité (utilisation notamment d’une très debussyste gamme par tons dans la fin du riff de flute).

 

Ce travail s’accompagne enfin d’une orchestration volontiers éclectique, renforçant la force d’évocation du texte ; aussi dans le premier refrain, « l’orchestre des métiers » est soutenu par un ensemble de cuivres, dans le second « la chorale des métiers » par un chœur mixte, et dans le troisième c’est l’accordéon façon musette qui suit « la valse des métiers ». La voix se pose elle aussi en jouant de contrastes entre couplets articulés de silence, et refrains plus lyriques et puissants.

 

Le texte de la coda m’offraient la joie de terminer le morceau d’une autre manière, et après avoir succombé au plaisir d’une fausse fin (« les métiers se sont tus »), voilà l’envie de créer une grosse ascension mélodico-harmonique, poussée finale puissante pour aboutir à un apaisement nourri de complexes de timbres, flutes, accordéon, cuivres en tout genre, basse ou cordes frottées éraillées. Le petit jeu aussi pour moi de cacher une mélodie très connue (et libre de droits !) dans ces ultimes volutes de notes, saurez-vous la retrouver ?

 

Au final, la ville étonnée est une chanson synthèse, synthèse de l’approche globale du projet, la force d’évocation des mots de Christian et des photos de Marc, synthèse de notre travail commun depuis plusieurs années et enfin synthèse d’un exercice si souvent rabâché d’écriture de chansons d’allure populaires, aux mélodies accrocheuses, mais aux détails raffinés et complexes.

 

Jérôme Bodon-Clair

 

 

La ville étonnée

 

 

 

 

Le gosier de la rue éructait ses syllabes. Dans la cour de la ferme, jappaient les mécaniques. C'était pour le passant la rengaine des jours.

 

L'orchestre des métiers.

 

De la ville et des champs, la parole au labeur. Des hommes et des femmes, le pouls pris au poignet. C'était un rock alerte, c'était une berceuse.

 

La chorale des métiers.

 

Elle charriait des bonheurs, elle apaisait le soir. La marche, à l'écouter, accélérait son rythme. Les enfants, tout petits, apprenaient son refrain.

 

La valse des métiers.

 

Les départs et les crises ont suspendu le chant. Le tempo ralenti, le bruit s'est assoupi. Les rues n'ont plus vibré aux cadences des fils.

 

Les métiers se sont tus.

 

 

 

Elle vit encore ici, au détour d'une rue, elle perce des usines, elle glisse sous la porte. Elle envoie sa chanson sous la pente des sheds. Elle entonne un refrain, elle respire, elle reprend, elle n'a jamais cessé. Elle était un murmure, elle était un écho, aujourd'hui elle souffle, elle est une fanfare. Elle a changé le son de la ville étonnée.

 

C'est la voix des métiers.

 

 

 

Chanson 2 - première maquette

 

Si je perds le fil

 

Toujours dans l'idée de vous faire partager le travail en cours, cette première maquette est non finalisée. Des retouches de texte et de musique vont intervenir, puis le clip sera réalisé, probablement par étapes également.....

 

Si je perds le fil  semble un voyage dans l'intimité d'une vie de labeur...

 

Si je perds le fil - 2

 

 

 

 

Si je perds le fil

 

reprends le fil de moi

 

Si je perds le fil

 

reprends le fil de soie

 

 

 

Si je perds le fil

 

reprends le fil de moi

 

Si je perds le fil

 

reprends le fil de soie

 

 

 

Reprends

 

le fil

 

 

 

De moi

 

De soie

 

 

 

Dans la maison de grand-père, je suis restée la vie entière.

 

Entends-tu la petite qui rit ?

 

Dans la maison de grand-père, fille unique avant d'être mère.

 

Murs et peau maintenant réunis.

 

 

 

La maison est ridée et je porte mon toit. J'ignor' les cartes que j'avais.

 

Mon père renversé, [m]es atouts sont tombés.

 

Dans la maison de mon père, je suis restée la vie entière.

 

Il ne manquait que toi, ma chérie.

 

 

 

Dans les métiers du textile, toutes les cartes sont fragiles.

 

Je t'attends, ma petite chérie.

 

Salariée à domicile, certains disaient que c'est facile.

 

Mais à (s'il faut, contracter en « m'sa ») la trame, à la chaîne asservie.

 

 

 

Travailler, jouer, la partie de mon père. Et puis m'occuper de ma mère.

 

Quand tu es venue, les cartes m'ont souri.

 

Dans la maison de ta mère, est parue une lumière.

 

Tu as changé la donne, chérie.

 

 

 

Dans les métiers de mon père, les commandes se sont taries.

 

Les navettes ne font plus de bruit.

 

Dans l'atelier de mon père, les machines sont parties.

 

J'étal' les cartes sur le tapis.

 

 

 

Mon père renversé et ma mère alitée. C'étaient les cartes que j'avais.

 

Pour moi, les jeux sont faits. Pour moi, c'est fini.

 

Fuis la maison de ta mère, prends le joker qui te plaît.

 

Ne suis pas ma prudence, chérie.

 

Laisse la maison derrière, prends la route qui te plaît.

 

Prends le fil de

 

Prends le fil de

 

Chanson 1

 

On a silky way

 

On a silky way est née d’une rencontre avec Claude Massieye, l’ingénieur globe-trotter déroulant les miles aériens autant que les kilomètres de tissus, l’homme pressé, boulimique de travail et d’aventures nouvelles. Le texte de Christian, en anglais (ce qui n’est pas commun chez notre Chavassieux national), accumule les destinations et les références, comme si le fil de soie était aussi un itinéraire tracé sur une carte du monde. La chanson s’en veut l’écho, commençant paisible, douce comme la soie, la matière que l’on touche, le geste expert de Massieye qui palpe les échantillons. Puis cette basse inexorable, bientôt rejointe par une batterie électronique puissante et réglée, comme les métiers à tisser qui se mettent en route et jamais ne s’arrêtent, peut-être aussi comme les milliers de kilomètres avalés par l’homme durant ses carrières successives. Claude se montre avide de savoirs, toujours volontaire pour rester à la page, la musique par son penchant électronique incarne aussi cette dimension technologique, en tendant l’oreille on écoute les frémissements de machines électroniques, le ronronnement des basses. Puis cette pause au deux tiers du parcours, cette parenthèse chorale et presque arythmique, les mots se font policés, cordiaux, souriants, voici le Claude charmeur, celui qui est à la disposition du client, le commercial, mais aussi le formateur, respiration courte avant de repartir sur « I run », une coda qui enfle, cordes et cuivres viennent soutenir une polyphonie complexe, le temps d’attraper le prochain avion.

 

Jérôme Bodon-Clair

 

 

 

LE TEXTE

 

 

 

Silky way

 

 

On the silky way, I travel from my start. From Lyon to China, Morocco, Tunisia, beyond the silky way, I run. I'm laughing. I run around the globe. Always, I run, I run. From Lyon to Paris, from London to China, I run across borders. Quick. They call me the cloth-trotter. Korea, Thailand, Vietnam, Taiwan. Hurry, quick, I'm good. Luxury for ladies, watered fabric or cotton yarn, sportswear or high fashion, no worries, as you wish. More complicated is, more I like it. What do you want ? Any material, any shape, velvet or taffeta, synthetic, organic, it's all the same to me. I know all about it. Believe me. Hurry, on the silky way, I laugh. I laugh because I'm sure. I run because I know. Oh, there's nothing like clothe business. Let me run ! Always, on the long way away, until the end of the strip, beyond the silky way.

 



 



 

Voie de soie*

 

 

sur la voie de soie, je vais depuis toujours. De Lyon à la Chine, Maroc, Tunisie, au-delà de la voie soyeuse, je cours. Je me marre. Je cours autour du globe. Toujours, je cours, je cours. De Lyon à Paris, de Londres à la Chine, je cours à travers les frontières. Vite. Ils m'appellent le « cloth-trotter ». Corée, Thaïlande, Vietnam, Taïwan. Allez, vite, « I'm good » ! Luxe pour les femmes, moire ou fil de coton, tenue de sport ou haute couture, pas de problème, comme vous voulez. Plus c'est compliqué, plus j'aime. Vous désirez ? Tissu, forme, velours ou taffetas, synthétique, naturelle, c'est pareil pour moi. Je connais tout. Croyez-moi. Dépêchons, sur le voie de soie, je me marre. Je me marre parce que je suis sûr de moi. Je cours parce que je sais. Oh, il n'y a rien de pareil au business des fringues. Laissez-moi courir ! Toujours, sur la route au loin, jusqu'à la fin du rouleau, au-delà de la voie de soie.

 



 

* une façon de traduire « silky way » (« la voie soyeuse ») en conservant l'idée d'un jeu sur les mots (ici, la sonorité). Dans notre cas, il s'agissait bien sûr d'une référence à « the milky way », la voie lactée. Je remarque que Jérôme a titré « on a silky way » qui pourrait se traduire par « d'une manière soyeuse ». Joli aussi.

 



 

 

Chansons de canuts

 

 

 

 

Les Tisserands

 

 

 

Et tipe tape et tipe tape

 

Est-il trop gros, est-il trop fin ;

 

Et couchés tard, levés matin,

 

I roun lan là,

 

En poussant la navette, le beau temps viendra.

 

 

 

(vieux refrain des tisseurs à bras)

 

 

 

Il est à noter que, sans avoir eu connaissance de ce refrain, le texte d'une des premières versions de « La chanson de Jeannine » (qui ne sera pas mise en musique ; nous n'étions pas satisfaits) évoquait par un « tape », le choc brutal caractéristique de la navette. On peut en juger dans les extraits qui suivent :

 

 

 

 

Tant que les navettes

 

tapent

 

Mon cœur bat

 

Tant que les canettes

 

filent

 

la vie va

 

 

 

Gamine j'étais

 

Tape

 

Plus sage que gaie….

 

(...)

 

 

 

Alors j'ai repris

 

Tape

 

Son remettage...

 

 

 

 

Amusante coïncidence, qui a peut-être plus de sens qu'on ne croit. Cela signifierait que le bruit, le son, constituent un passage de relais indestructible. Si l'on pousse plus loin, souvenez-vous la manière dont Ulysse vérifie la tension de son arc (c'est lors du défi final, avec les prétendants qui ont osé investir sa maison). Manipulée, la corde répond, quand elle est idéalement tendue, par « le cri de l'hirondelle » dit Homère, dans l'Odyssée. Ce qui nous permet, des milliers d'années plus tard, de connaître exactement le son d'une corde d'arc correctement bandé, sous Agamemnon. Troublant, cet enjambement immense grâce à une donnée si modeste, une expérience si commune.

 

Mais revenons à notre siècle. Jean-Paul Dalary, responsable des fêtes de la soierie et grand connaisseur de l'histoire des tisserands de la région, auteur de plusieurs livres sur le sujet, nous a communiqué plusieurs extraits de chansons populaires. La traditionnelle citée plus haut et celles qui suivent :

 

 

 

 

 

La marche des Canuts

 

 

 

 

Voilà les p'tits canuts,

 

Des Cordeliers, de Gayen,

 

Les canuts charliendins,

 

Partout ils sont connus,

 

Et bistanclaque pan,

 

La navette et l'battant,

 

Regardez comme ils sont ch'nus,

 

Voilà les p'tits canuts.

 

 

 

(Cavalcade, 12 juillet 1914)

 

 

 

 

 

 

Chantons la Soie

 

 

 

 

La plus jolie femme n'est belle

 

Qu'élégamment vêtue de soie ;

 

La chose n'est pas très nouvelle,

 

Mais ce compliment on le doit

 

A ceux qui de leurs mains habiles

 

Façonnent crêpes et satins

 

Pour voiler les formes graciles

 

Des troublants charmes féminins.

 

 

 

(Fête de la Soierie, 10 septembre 1922)

 

 

 

 

 

C'est assez étonnant de nous découvrir héritiers d'une tradition que nous ne connaissions pas.

 

 

 

 

C'est quoi, une chanson populaire ?

 

Après un de nos rendez-vous les plus touchants, celui où les mots de la vieille dame que nous avons rencontrée nous laissent deviner la fatalité d'un destin, nous nous retrouvons chez moi pour faire le point sur la suite. Le monologue de notre ancienne ouvrière, seule dans sa maison abîmée, nous revient. C'est typiquement un récit qu'une Berthe Sylva, une Piaf ou une Damia auraient interprété. La jeune femme tabassée par la vie, que les événements entraînent sur une voie non choisie. Des chansons de cette veine (en plus tragique tout de même) sont restées dans les mémoires. De petits contes affreusement tristes, des mélos insupportables aux couplets déprimants : « En haut d'la rue Saint-Vincent... », « Elle habitait la butte Montmartre... », « Moi j'essuie les verres... » Je cite Les Roses blanches, à cause d'un roman de Gil Jouanard que je viens de lire et qui s'achève par cette chanson célèbre. Le dernier couplet de cette histoire accablante est tellement tragique qu'il produit un effet comique, à voir les moyens mis en œuvre pour tirer les larmes des auditeurs.

 

Nous entrons aujourd'hui, en ce 19 juin 2016, dans une phase où se pose la question concrète de la forme de nos chansons. Nous convenons que chacune pourrait être une sorte de nouvelle, pas forcément attachée à une personne, mais un précipité des ambiances et détails que nous avons captés. Il faut échapper à la vision sociale trop manifeste, au « détail qui tue ». Dans nos créations précédentes, essentiellement écrites pour la scène, nous sommes d'une résolue modernité, nous avons souvent frisé le conceptuel le plus hermétique. Je ne peux pas écrire un petit mélo ou une historiette sentimentale. Il me semble que chaque mot regimberait, qu'il me faudrait maîtriser un rodéo de phrases révoltées. Pareillement, Jérôme ne se voit pas en train d'écrire une rengaine à la Vincent Scotto. Marc a le même souci avec les photos qu'il prend. Que ce ne soit pas un énième témoignage documentaire sur le passé industriel et les pauv'zouvriers qu'on tant souffert.

 

Bref, c'est quoi, une chanson populaire aujourd'hui ?

 

En fait, au terme d'un échange amusé et riche, nous concluons (provisoirement) qu'il nous faut être modestes. Les textes seront simples, la musique mélodique pour être facile à retenir et les images s'attacheront à évoquer la vérité d'une personne. Nous allons tenter de formuler l'impression que nous laisse chaque témoin rencontré, sans tomber dans le cliché. Nous inscrire dans une tradition sans la ressasser. Réinventer le récit chanté des vies minuscules. Nous serons des funambules, marchant entre le précipice de l'extrême modernité et celui du pastiche rétro. Difficile, et passionnant.

 

1ère esquisse

ceci est une première étape, le texte n'est pas encore écrit, les arrangements sont en cours et le montage est encore susceptible d'évoluer... (pour une meilleure écoute, utilisez vos enceintes de bureau ou un casque)